Partager : mise à jour

1) Sens élargi

Depuis quelques années, le verbe partager a pris un sens nouveau, et tend à s’aligner sur la définition que donne l’anglais à share.

On entend régulièrement des employés qui veulent partager des renseignements avec leurs collègues pendant une réunion. Par la suite, ils partageront un document, des photos. Rendus dans leur bureau, ils partageront un tweet sur tel sujet.

Le mot a pris le sens de diffuser, communiquer, envoyer.

Ce sens élargi a tellement envahi l’espace public qu’il devient pratiquement impossible de revenir en arrière. Il faut dire que les sites Web comme Facebook n’aident pas les francophones à faire la différence lorsqu’ils affichent des boutons Partager.

Le nouveau sens apparait maintenant dans les grands dictionnaires. Par exemple, le dictionnaire électronique québécois Usito donne la définition suivante : « Mettre en réseau des ressources matérielles. » Le Robert et le Larousse vont maintenant dans le même sens après avoir ignoré l’usage pendant de longues années.

2) Sens traditionnel

Les dictionnaires sont formels : on partage une chose lorsqu’on la divise en plusieurs parties. Par exemple, on partage une tarte entre cinq invités; chacun en reçoit un morceau. On peut aussi partager un appartement.

Car partager peut aussi avoir le sens d’avoir en commun. Par exemple, on peut partager l’avis de quelqu’un, c’est-à-dire être d’accord avec lui.

On conviendra que ce sens se rapproche quelque peu de l’anglais.

On peut aussi partager des inquiétudes.

3) Le délire

Rien n’est plus dangereux qu’un mot à la mode… parfois, il finit par courir dans tous les sens, tel un chien fou.

C’est un peu ce qui arrive avec partager.

Dans le film De père en flic, l’inénarrable Louis-Josée Houde s’exclame : « Il me le partage! » après que son père lui eut confié un secret. Les scénaristes ont-ils oublié l’existence du verbe dire?« Il me le dit, par-dessus le marché! » Une belle phrase, bien appuyée, avec le bon verbe.

D’ailleurs, l’expression « Je vous partage » se multiplie de plus belle dans l’usage populaire, comme le fait observer une lectrice de ce blogue.

Comme on le voit, partager s’emploie de plus en plus de manière pronominale. On a l’impression qu’il n’y a plus de limite et le verbe en question est devenu la sauce Worcestershire du français moderne : on en met dans tous les plats…

Personnellement, je préfère garder une certaine réserve. Même s’il est tentant de dire qu’on a partagé un tweet dans Twitter ou un statut dans Facebook, je préfère dire que je l’ai diffusé. Il semble que tout le monde comprend quand même. Des documents? Des photos? On peut les montrer, en faire des copies, les envoyer par courriel.

12 réflexions sur « Partager : mise à jour »

  1. On entends de plus en plus « …je vous partage (une information ou autre chose) ». Ça me fait peur! De grâce, ne me partagez pas! Plutôt, « faites-nous part de quelque chose ».

    1. Merci de votre commentaire intéressant. Je vais d’ailleurs inclure votre «Je vous partage» dans mon article, car cette expression cadrerait très bien avec la rubrique Le délire. Continuez de me lire!

      Cordialement

    2. Eh oui, mais ce summum du délire, avec complément d’objet second, exprime la générosité, là est la clé :
      je vous fais part de, je vous diffuse… je vous inflige, vous subissez : c’est le je égoïste.
      Je vous partage, nous (en) profitons : c’est un nous, comment dire, communautaire ?
      Cela change tout, s’agissant d’un document obligatoire à lire, par exemple.
      Javellisation du langage, écrit le maître des lieux, Muray n’aurait pas dit mieux.

      A propos, je vais de ce pas chercher si ledit maître s’est penché sur l’injonction « Profite ! », consternant avatar du « enjoy! » qui lui seul a le doit, il me semble, d’être intransitif. Parce que dans l’hexagone, elle prolifère.

  2. Pour ma part, je préfère le réserver à son sens classique et je refuse la mode de son élargissement. Je trouve qu’on peut souvent le remplacer par « publier », notamment dans les médias sociaux. Publier un tweet, une photo, un message… Hélas, son usage farfelu tend à s’imposer.

  3. Je vois que je ne manque pas grand chose en ne consultant pas le dictionnaire électronique québécois Usito…

    1. Si, si Marc André, tu manques quelque chose! Il reflète l’usage québécois. Dans bien des cas litigieux, il m’a aidée… à reprendre le droit chemin. Il ne penche pas toujours du mauvais côté 😉

  4. Le verbe « partager » sera remplacé par le verbe « sharer ». Déjà, un patineur de vitesse sur courte piste se disait « content de la seule médaille que je share avec mon frère ». RDI

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