Les majuscules : des règles à revoir

J’ai récemment mis la main sur la quatrième édition (2010) du Dictionnaire des règles typographiques, de Louis Guéry, de même que sur le Lexique des règles typographiques en usage à l’Imprimerie nationale. La consultation de ces deux ouvrages m’a profondément déçu, car ils rabâchent les mêmes vieilles règles qui avaient cours il y a cinquante ans, et peut-être même avant l’invention de l’automobile!  À croire que l’usage n’a pas évolué depuis et que la langue française est absolument immuable.

Il semble bien que pour nos amis européens la modernisation de la langue passe exclusivement par un discours truffé d’anglicismes, mais pas par l’abandon de règles archaïques que beaucoup ne respectent plus. Je m’attarderai aux noms de guerres, de révolutions, de périodes historiques, de régimes politiques et de ministères.

 Noms de révolutions

 Les deux ouvrages conservent la tradition d’attribuer la majuscule initiale à la Révolution française exclusivement. Ce qui signifie que d’autres évènements importants comme la révolution américaine, la révolution industrielle ou la révolution russe se composent uniquement en minuscule. Pourtant, le Robert-Collins écrit bel et bien Révolution américaine à l’entrée Yankee Doodle, une chanson composée durant la guerre d’Indépendance.

Curieusement,  on parle de la Révolution tranquille au Québec, avec la majuscule initiale. Pourquoi? Tout simplement parce que celui qui a traduit le terme Quiet Revolution – oui l’expression vient de l’anglais – a tout simplement appliqué la logique naturelle qui veut qu’une appellation commence habituellement par une majuscule. Or, si l’on se fie aux guides de typographie, seul un substantif dans l’élément déterminatif peut prendre la majuscule : la révolution d’Octobre. Mais il faudrait écrire la révolution tranquille. Afin d’ajouter à la confusion et à l’illogisme, notons en passant que bien des auteurs écrivent la Révolution culturelle en Chine.

Ce qui signifie que nous avons trois types de graphies pour les révolutions : une avec la majuscule à révolution (Révolution française); une sans majuscule (révolution industrielle); une avec majuscule au deuxième mot (révolution d’Octobre).

Je reviens sur les graphies sans majuscule. Leur emploi peut avoir pour effet de banaliser la période qu’il désigne. Par exemple, la révolution industrielle est une étape importante de l’histoire de l’humanité; ne serait-il pas logique de lui donner la majuscule initiale? Poser la question, c’est y répondre. Quand on y pense bien, la Révolution industrielle est autrement plus importante que la Révolution française, sans offense à nos cousins.

 

Noms de guerres

À ce chapitre, le Lexique de l’Imprimerie nationale est pour le moins déroutant parce qu’il prescrit la minuscule, même pour les deux guerres mondiales! Cette pratique du tout en minuscule s’observe aussi dans Le Monde Diplomatique, mais elle ne correspond pas à l’usage courant, d’ailleurs confirmé par le Larousse et le Robert ainsi que par le Dictionnaire des règles typographiques.

Les noms de guerres réservent toutefois quelques surprises au langagier, car ils sont soumis au même jeu de bascule majuscule/minuscule que les noms de révolutions. Par exemple la guerre d’Indépendance américaine. Toutefois, on parlera des guerres puniques, de la guerre froide, ce qui va encore une fois à l’encontre de la logique élémentaire et de l’uniformité.

En effet, la seule façon pour une guerre de recevoir la consécration d’une majuscule est de comporter un substantif dans l’élément déterminatif qui suit le mot guerre. Les explications qui prétendent nous éclairer sur ces règles sont pour le moins nébuleuses et arbitraires. Guéry soutient que les noms de guerres « prennent une capitale lorsque l’ensemble est un véritable nom propre : la Grande Guerre, la Seconde Guerre mondiale, la Longue marche ». Le Lexique de l’Imprimerie nationale abonde dans le même sens.

Si j’ai bien compris, la guerre froide ne serait pas véritablement un nom propre, même si elle fait l’objet d’une entrée dans les dictionnaires et encyclopédies, et même si elle est clairement délimitée dans le temps. Quels sont les critères au juste pour être considéré comme un nom propre?

Mais pis encore, on ne peut que constater les incohérences entre les ouvrages au sujet du trait d’union dans les noms composés. Qu’on en juge.

Le Lexique de l’Imprimerie nationale écrit : la guerre de Cent Ans, la guerre des Six Jours, mais… la guerre des Deux-Roses. Pourquoi ce trait d’union tout à coup?

Le dictionnaire de Luc Guéry propose : la guerre de Cent Ans, mais la guerre des Six-Jours, avec trait d’union, cette fois-ci. Il ne parle pas de la guerre des Deux-Roses.

Il faut dire que les deux grands dictionnaires ne sont pas eux non plus à l’abri des contradictions, notamment en ce qui concerne le Moyen Âge. C’est cette graphie sans trait d’union que les deux ouvrages préconisent, alors que le Littré propose Moyen âge, avec la minuscule à âge. Là où les choses se gâtent, c’est à l’article médiéval, dans lequel le Robert 2010 écrivait : « Relatif au Moyen-Âge. ». Notez le trait d’union. Heureusement, l’erreur a été corrigée en 2013. Mais s’agit-il bien d’une erreur? Le Robert électronique, dans son champ de recherche, donne deux graphies pour l’expression, l’une avec trait d’union et l’autre sans. Cette intéressante alternative laisse croire que la question du trait d’union dans les expressions historique n’est peut-être pas si claire pour les lexicographes.

Républiques, royaumes et empires

 La valse des majuscules et des minuscules se poursuit pour le nom officiel des États. Le Lexique de l’Imprimerie nationale est on ne plus clair : « Les mots empire, république, royaume, etc. s’écriront entièrement en lettres minuscules s’ils sont précisés par un nom propre. Ces mêmes mots prendront une capitale initiale s’ils sont complétés par un simple adjectif de nationalité. » Ce qui donne : l’Empire britannique, mais l’empire des Indes; la République centrafricaine, mais la république de Lettonie.

La graphie officielle des noms d’États aux Nations Unies comporte la majuscule initiale à ces appellations, puisque ce sont des appellations officielles. N’est-il pas naturel de procéder ainsi, après tout?

Quant au dictionnaire de Guéry, il va dans le même sens, mais préconise la graphie Arabie Saoudite avec la majuscule à l’adjectif qui suit le substantif. Étonnant! Voilà à présent que l’on met une capitale là où les Nations Unies n’en mettent pas. Vous avez dit incohérence? Caprice? L’Empire byzantin est toujours vivant, je le proclame!

Noms de ministères

 Je pourrais multiplier les exemples des chemins tortueux qu’emprunte le français, mais je terminerai ma démonstration avec les noms de ministères, pour lesquels le langagier a l’embarras du choix, pour ne pas dire le choix de l’embarras.

Au Canada, nous écrivons le ministère des Affaires étrangères. Qu’en est-il en Europe? Le Monde favorise l’étêtage total, comme pour les deux guerres mondiales : le ministère des affaires étrangères; Le Figaro (France) et Le Soir (Belgique) : le ministère des Affaires étrangères.  Encore une fois, l’usage cafouille et les savantes règles typographiques en prennent pour leur rhume.

Ce cas n’est pas unique. Une incursion dans la Grande Toile nous permet de constater que les règles pour les noms de révolutions, de guerres, de régimes politiques et de ministères sont allègrement bafouées. Que faut-il en conclure? Deux choses : beaucoup de rédacteurs ne les connaissent tout simplement pas et y vont par instinct, d’où la pléthore de variantes; d’autres rédacteurs (dont je suis) les trouvent tout simplement absurdes et ne les appliquent plus. Après tout, ce ne sont pas les grammairiens qui définissent l’usage, mais bien les locuteurs. Après quelques décennies, ces derniers finissent par prendre acte des changements.

Pour une réforme de la typographie

Plusieurs arguments militent en faveur d’une rationalisation et d’une simplification des règles sur l’utilisation des majuscules dans le domaine des relations internationales.

Les historiens et les politologues, entre autres, n’hésitent pas à écrire dans leurs ouvrages les noms de guerres et de révolutions avec la capitale à l’élément générique. Des journaux et périodiques font de même. Tous ces rédacteurs maîtrisent la langue française et les graphies qu’ils choisissent ont un poids certain. Après tout, ce sont des spécialistes.

On pourrait aussi parler de deux langues sœurs, l’espagnol et l’italien, qui sont allées beaucoup plus loin dans la modernisation des graphies que le français. Elles ont pratiquement éliminé les doubles consonnes; l’accord des participes passés est souvent optionnel, mais, surtout, elles recourent plus facilement aux majuscules dans les appellations officielles. Il est plus que temps que le français se mette au diapason.

Voici ce que je propose :

1) Le mot révolution prend toujours la majuscule initiale, qu’il soit suivi par un substantif ou un adjectif. Le substantif figurant dans l’élément déterminatif prend aussi la majuscule initiale.

La Révolution américaine; la Révolution d’Octobre; la Révolution des Œillets.

 2) Même règle pour les noms de guerres et de batailles. Il n’y a pas de trait d’union dans l’élément déterminatif.

La Guerre froide; les Guerres puniques; la Guerre de Cent Ans; la Guerre de Sécession; la Première Guerre mondiale; la Bataille d’Angleterre; le Débarquement de la Normandie.

 3) Les noms d’évènements ou de périodes historiques composés d’un seul mot commencent par une capitale.

La Détente; l’Inquisition; l’Antiquité.

 4) Les noms d’évènements ou de période historiques en plusieurs mots commencent toujours par une majuscule, tout comme le substantif de l’élément déterminatif. Là encore, pas de trait d’union.

La Querelle des Investitures; le Printemps de Pékin; l’Âge du Bronze; le Moyen Âge.

5) Les noms de régimes politiques commencent par une majuscule.

La République centrafricaine; la République fédérative du Brésil; le Royaume de Suède; l’Empire ottoman; l’Empire des Indes; l’État d’Israël; l’Union de Birmanie.

Pour ce qui est des noms de ministères, il me semblerait plus logique de mettre également la capitale à l’élément générique, puisque c’est ce que l’on fait pour les noms de directions et autres composantes ministérielles. Toutefois, une graphie comme Ministère des Affaires étrangères devrait d’abord être reconnue officiellement, avant de pouvoir être utilisée dans les documents fédéraux. On conviendra que ce n’est pas demain la veille…

Les règles proposées ont l’avantage d’être claires et uniformes. Elles éliminent le flottement qui existe quant à l’utilisation des majuscules ainsi que certaines absurdités qui figurent dans les guides de typographie (l’Antiquité, mais la détente).

Ne nous reste plus maintenant qu’à employer ces nouvelles graphies, parce que c’est ainsi que l’usage se définit.

Article paru dans le numéro d’été 2013 de L’Actualité langagière.

14 réflexions sur « Les majuscules : des règles à revoir »

  1. Excellent épître, M. Racicot! Je vous soutiens entièrement dans vos propositions!

    De votre brillante démonstration et de mon expérience de la vie, je tire deux conclusions :

    1 – À trop se concentrer sur les détails, on oublie la finalité de l’entreprise. Les règles de rédaction servent à donner plus d’efficacité au propos, à mieux communiquer, donc. Notamment en mettant en relief les éléments importants (par la majuscule, l’italique, les guillemets) ou en établissant une norme logique pour que tout le monde s’y retrouve. Il ne s’agit pas d’un exercice purement intellectuel « pour la beauté de l’art ».

    2 – À trop vouloir règlementer, on ne règlemente plus rien. Quand les règles sont trop nombreuses, trop complexes et trop illogiques, elles ne sont plus respectées et ne peuvent plus donc remplir leur rôle.

    Moi, j’aime bien vos règles. Elles sont simples, logiques et répondent parfaitement à leur objectif. Elles ne seront pas faciles à faire accepter à tous les langagiers « chevronnés » (la fameuse réticence au changement), mais le jeu en vaut la chandelle.

    Merci.

    1. Merci de vos commentaires. Un trop grand conservatisme nuit à la langue française. L’espagnol et l’italien possèdent des règles plus souples pour les majuscules et ne s’en portent pas plus mal. Il n’est pas normal qu’à l’époque de la tablette électronique nous appliquions les mêmes règles archaïques et capricieuses qui avaient cours avant l’invention de l’automobile.

  2. Bonsoir Andre,

    Tout d’abord, je vous félicite. Je viens de découvrir votre blog et je le trouve vraiment intéressant.

    Je suis traductrice et j’habite en Espagne. Ma langue maternelle, donc, est l’espagnol. C’est bien vrai que l’espagnol est plutôt souple ces derniers temps, mais nous nous plaignons (les philologues, traducteurs, bref, les linguistes) précisemment de ce fait. Notre langue commence à perdre son histoire et le sens premier et on se colle à des expressions adaptées de la manière la plus pire possible, provenant d’habitude de l’anglais.

    En ce qui concerne les majuscules: c’est le chaos.

    Je vous suis dès maintenant.

    Cordialement,

    Patricia

  3. Permettez moi de corriger quelques fautes. C’est trop tard et j’ai travaillé pendant 8 heures…

    *Ma langue maternelle est donc l’espagnol.
    *En ce qui concerne les majuscules : c’est le chaos (espace pour les deux points).

    À bientôt ! 🙂

    1. Je suis très touché par vos gentils commentaires. Je pense qu’une langue a besoin d’un minimum de règles pour être cohérente. L’anglais n’en a peut-être pas assez, et le français un peu trop. Dans mon article, j’essayais de démontrer que les règles doivent être logiques et constantes pour être respectées.

  4. Lorsqu’on parle de la Révolution française à l’époque du Premier Empire, y mettait-on déjà une majuscule ? Il me semble que cette majuscule a dû arriver tardivement, lorsqu’on a commencé à la considérer comme un événement majeur. Qu’en pensez-vous ?

    1. J’ai l’impression qu’on parlait de la révolution tout court. Il est probable qu’on mettait aussi bien la majuscule que la minuscule.

  5. Je suis plutôt conservateur en matière de langue, mais l’emploi des majuscules est bien un domaine où une réforme me semble nécessaire. Non seulement une modernisation, mais une simple standardisation des règles, pour commencer, car c’est vraiment le grand n’importe quoi, et comme vous le soulignez, tout le monde y perd son latin.

    Toutes vos propositions me paraissent cohérentes. Bizarrement, en France, on a des propositions de réformes orthographiques de tous les styles, plus ou moins sérieuses (plus souvent « moins » que « plus » hélas), pour tout et n’importe quoi, mais l’emploi des majuscules ne fait guère débat. Ça me fait plaisir de voir qu’on y songe ailleurs dans le monde francophone, avec des propositions intéressantes, qui plus est !

    Mes amitiés à mes cousins d’outre-Atlantique !

    1. Merci de votre commentaire. Comme vous dites, les majuscules en français, c’est du grand n’importe quoi. Je m’étonne comme vous que personne ne songe à mettre de l’ordre dans ce joyeux bordel. Je lisais récemment La promesse de l’aube de Romain Gary et il employait la double majuscule pour les appellations géographiques (Océan Atlantique). Personne chez Gallimard ne semble au courant des règles biscornues sur l’emploi des majuscules.

      Mes meilleures salutations.

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