Investiture

Les médias francophones du Canada semblent avoir enfin abandonné cet anglicisme détestable inauguration de Joe Biden. Comme je l’ai indiqué dans un billet précédent, le terme exact est assermentation. Cependant, bien des médias parlent de l’investiture du nouveau président des États-Unis.

De multiples sources confirment que l’investiture, c’est le fait pour un parti politique de choisir un candidat à une élection. Par exemple, Kamala Harris a reçu l’investiture démocrate pour briguer un poste de sénatrice en Californie.

On pourrait croire que le terme ne convient pas parfaitement à la prise du pouvoir d’un nouveau président, bien que Joe Biden ait obtenu lui aussi l’investiture du Parti démocrate lors d’un congrès de cette formation tenu l’été dernier.

Mais l’investiture ne concerne pas uniquement un parti politique. Le Larousse donne aussi la définition suivante :

Procédure qui tend, en régime parlementaire, à accorder à un nouveau chef de gouvernement la confiance du Parlement.

On y est presque.

Dans le cas des États-Unis, c’est le vote du Collège électoral qui détermine l’élection du président. Ce Collège ne fait pas à proprement parler partie du Congrès; il s’agit plutôt d’une instance temporaire qui vote pour l’un des candidats, dans chaque État de la fédération américaine. Ce collège cesse d’exister dès qu’il a voté.

En étant très puriste, on pourrait crier à l’impropriété.

Investir

Investiture et investir forme un tandem imparfait en ce sens que le substantif et le verbe ne concordent pas parfaitement. C’est ce que j’appelle des mots orphelins ou encore des demi-frères.

Parce que le verbe investir possède un sens moins précis que le substantif. Dixit le Larousse :

Charger solennellement, officiellement, d’un pouvoir, d’un droit, d’une dignité.

Voilà exactement la teneur de la cérémonie d’assermentation du 20 janvier : investir Joe Biden des pouvoirs du président des États-Unis.

Les médias du Canada français ont remplacé inauguration par assermentation ou investiture. D’ailleurs, les médias français parlent eux aussi d’investiture. Ce dernier suit parfaitement la logique du verbe investir et il serait vraiment abusif de crier à l’erreur. Et ce pour deux raisons.

  1. Le sens des mots évolue et ils prennent parfois des significations nouvelles. C’est ce qu’on appelle l’évolution de la langue. Dans le cas présent, cette évolution n’est pas un anglicisme.
  2. L’emploi d’investiture ne débouche pas sur une absurdité linguistique, comme c’était le cas pour inauguration.

Comme c’est presque toujours le cas en français, il faudra attendre plusieurs années avant que les ouvrages de langue finissent par faire concorder investiture et investir. Malheureusement, il est bien possible que les dictionnaires ne confirment jamais cette évolution pourtant facile à recenser. Les lexicographes sont très conservateurs.

Entretemps, réjouissons-nous de l’investiture du président Biden et souhaitons-lui bonne chance. Il en aura besoin.

***

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