Les Québécois ont peur des mots, peut-être parce qu’ils ne les comprennent pas toujours.
Les réflexions de Lucien Bouchard sur l’indépendance du Québec, les turbulences au Bloc québécois, le prochain référendum en Écosse… Tous ces évènements mettent en lumière deux termes avec lesquels les ténors indépendantistes jonglent depuis presque 50 ans.
En 1967, René Lévesque fonde le Mouvement Souveraineté-Association qui, l’année suivante, fusionnera avec le Ralliement national pour devenir le Parti québécois. M. Lévesque était réticent à utiliser le terme «québécois» et favorisait une appellation comme «Parti souverainiste».
On voit que le mot indépendance suscitait beaucoup de méfiance, sauf pour les militants du Rassemblement pour l’indépendance nationale.
Souveraineté, indépendance, n’est-ce pas du pareil au même?
Pourquoi cette jonglerie sémantique?
Qu’est-ce que l’indépendance? Larousse : «Autonomie politique, souveraineté nationale. Proclamer l’indépendance d’une nation.». C’est à la fois concis et clair. Qu’en est-il de la souveraineté? Larousse : «Pouvoir suprême reconnu à l’État, qui implique l’exclusivité de sa compétence sur le territoire national et son indépendance internationale, où il n’est limité que par ses propres engagements.»
Impossible d’être plus clair. Ceux qui voient dans la souveraineté du Québec une sorte d’atténuation de l’indépendance ont tout faux, car les deux termes s’équivalent.
Alors pourquoi cette insistance sur la souveraineté et le quasi-bannissement de l’indépendance?
Tout est une question de perception. Certains pourraient penser qu’un Québec indépendant serait un État autarcique, autosuffisant, si vous préférez. Pourtant, cette interprétation ne correspondant au sens du mot «indépendant».
Ainsi, les États-Unis, l’Allemagne, la France, l’Australie sont des États indépendants. Cela ne signifie pas qu’ils ont érigé une muraille autour d’eux, loin de là. Être souverain, cela signifie se gouverner soi-même, chose que le Québec fait déjà en partie, en tant qu’État membre d’une fédération.
Mais, en politique, les perceptions l’emportent souvent sur la réalité. Ceux qui redoutent l’indépendance du Québec s’imaginent que nous cesserions d’avoir des relations commerciales avec les autres pays. En fait, le Québec irait rejoindre les rangs des petites nations comme la Suède et la Norvège, la première étant membre de l’Union européenne, l’autre pas.
Mais devant cette peur massive du mot «indépendance», les ténors indépendantistes ont reculé et cessé d’expliquer leur projet politique (sauf pour l’éphémère gouvernement Parizeau). D’où cette quête d’un mot plus rassurant, comme «souveraineté».
D’où, aussi, les deux questions alambiquées des référendums de 1980 et 1995. Demander au peuple québécois s’il veut être indépendant aurait été trop brutal. Mieux valait demander un mandat de négocier la souveraineté-association en 1980 et l’établissement d’une souveraineté-partenariat en 1995 dans le cadre (sic) du projet de loi sur l’avenir du Québec. Ouf!
Comme disait l’autre, pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué?
Peut-on être surpris qu’un certain nombre de gens mal informés ait voté Oui en n’étant pas conscients que leur vote impliquait l’accession du Québec à l’indépendance? Que d’autres ait voté Oui tout en espérant donner au Québec un rapport de force pour négocier un renouvellement du fédéralisme? C’est ce qui arrive quand on joue sur les mots et qu’on refuse, pendant une quarantaine d’années, d’appeler un chat un chat.
Quelle force aurait eu un Oui gagnant, si une bonne partie de l’électorat avait été convaincue que la souveraineté et l’indépendance, ce n’est pas la même chose?
Les Écossais ont été beaucoup plus clairs; le 18 septembre 2014, ils ont répondu non à la question suivante : «L’Écosse devrait-elle être un pays indépendant?» Pas un État souverain, pas un État associé à la Grande-Bretagne.
Ici, difficile de faire dire aux mots ce qu’ils ne disent pas. Les Écossais ont voté contre l’indépendance de leur nation. Point à la ligne.
Un article à haut risque, mon cher André. Presque aussi délicat que la réouverture du dossier constitutionnel!
En ce qui concerne la question alambiquée de 1995 (comment la qualifier autrement?), j’ai toujours dit qu’au-delà du risque de ne pas être parfaitement comprise dans sa portée par les votants, elle était dangereuse, car advenant une victoire du Oui, on aurait pu a posteriori lui faire dire tout et son contraire, et les gouvernants d’alors auraient disposé d’un véritable chèque en blanc, pour ne pas dire un droit discrétionnaire à l’égard de ce dossier.
Au-delà de la politique et pour en revenir à la sémantique, la différence subtile de perception entre ces deux termes, malgré des définitions très voisines, est un excellent exemple de ces connotations que l’on appréhende par l’usage prolongé d’une langue et qu’on ne trouve pas dans les dictionnaires. Les dictionnaires ont leurs limites. Il nous arrive ainsi souvent dans notre métier, lorsque l’on révise, par exemple, de sentir qu’un « synonyme » serait préférable au mot employé, car on y attache une certaine connotation, ou une différence ténue de valeur évocatrice dont les dictionnaires ne font pas toujours état. Il devient alors parfois difficile, dans une discussion sur le choix d’un mot, de convaincre une personne qui se fie uniquement au dictionnaire du bien-fondé de préférer un synonyme, alors que les dictionnaires en donnent la même définition (surtout que le contexte dans lequel le mot est employé peut aussi avoir une influence).
Si l’emploi d’un terme peut ainsi être techniquement juste au regard du dictionnaire, l’emploi de ce qui est objectivement un synonyme pourrait être plus judicieux, sans que l’on puisse toujours prouver par des références le léger décalage perceptuel qu’il véhicule; reste qu’une personne qui manie bien la langue emploiera le « synonyme » à dessein, même inconsciemment. Cela fait souvent la différence entre un bon texte et un très bon texte. Mais comment justifier objectivement ce qui relève du ressenti?
Ce n’est plus à l’ordre du jour, mais je souhaitais souligner que ce ne sont pas les Écossais qui étaient consultés, mais les personnes résidant en Écosse.
Cela signifie que beaucoup d’étrangers, citoyens européens ou non, ont pu participer au référendum. En revanche, les sujets britanniques écossais qui résidaient à l’étranger n’avaient pas leur mot à dire.
Il n’est pas du tout certain que si le gouvernement s’était adressé aux Écossais, le camp du oui aurait fait un tel score !
Au passage, j’ai beaucoup aimé votre billet sur les mythes sur l’histoire du Canada. Très instructif.
Je trouve le texte de M. Rionde très pertinent. Il y a une nuance entre souveraineté et indépendance, il me semble chez une majorité de Québécois. Pour moi, souveraineté signifie maître de nos décisions sans l’intervention décisionnelle d’une instance autre. L’indépendance fait fi de la possible influence extérieure. Je suis plus proche de M. Lévesque : « Souveraineté-association (volontaire) ».