Cancel culture

On n’osait pas en parler, mais le phénomène a pris tellement d’ampleur qu’il est maintenant impossible pour les médias de l’ignorer, comme ils l’ont fait pendant des années.

La cancel culture sévit depuis un bon bout de temps sur les campus américains. Elle est le fait d’un groupe d’individus extrémistes, supposément progressistes, convaincus de posséder la vérité et qui ne tolèrent aucune contradiction. Ils sont souvent très agressifs et harcèlent tous leurs contradicteurs dans le but de les faire taire une fois pour toutes.

Cette nouvelle orthodoxie, qui déferle au Canada et ailleurs dans le monde, embrasse des causes souvent très louables, comme l’écologie, le véganisme, le féminisme, l’antiracisme, etc. Mais elle tend à les radicaliser et à supprimer toute nuance dans le débat public.

Traduction

L’expression se traduit assez mal. Comme on peut le deviner, l’anglicisme a la cote dans les médias français et même ici au Canada. Les traductions comme culture de la cancellation (sic), culture de l’annulation ne sont guère inspirantes.

La cancel culture conduit au bannissement, à l’élimination de certains groupes ou individus. Ils sont expulsés du débat public, dès qu’ils osent parler, des hordes de militants intraitables les harcèlent pour les empêcher de parler. C’est pourquoi on pourrait parler de culture du bannissement, de l’anéantissement, de l’annihilation.

Des lectrices me suggèrent culture-bâillon, culture-boycott.

Ces dernières années, l’actualité nous a fourni de nombreux exemples de professeurs d’université mis au ban, harcelés par leurs étudiants et leurs collègues au point de devoir démissionner. Le cas de la chargée de cours Verushka Lieutenant-Duval à l’Université d’Ottawa est emblématique.

Le mot culture

Le mot culture pose un problème, car il n’est pas vraiment employé dans son sens propre, c’est-à-dire de « L’ensemble des aspects intellectuels, artistiques d’une civilisation », dixit le Robert.  Malheureusement, il est difficile de lui substituer un terme plus juste. On pourrait parler de l’idéologie du bannissement, mais, là encore, le terme serait inapproprié.

Une idéologie

Une idéologie est un « Système d’idées générales constituant un corps de doctrine philosophique et politique à la base d’un comportement individuel ou collectif » nous dit le Larousse.

De fait, le bannissement des personnes qui n’adhèrent pas au wokisme n’est qu’une manifestation du wokisme lui-même. Ce dernier correspond davantage à une idéologie, dans la mesure où il propose (ou impose) une série de postulats précis, par exemple le fait que le sexe (qu’il appelle genre) n’est pas une réalité biologique mais bien une construction sociale.

Conclusion

À défaut d’une meilleure expression, il faudra s’en tenir à la culture du bannissement pour traduire cancel culture.

8 réflexions sur « Cancel culture »

  1. Belle mise au point, M. Racicot. Claire, nette et plus compréhensible que la plupart des interventions que j’ai pu parcourir sur le sujet dans la presse française. Je me permets donc de le faire « rebondir » sur mon blog. Je joins mon adresse électronique, n’hésitez pas à m’interpeller si nécessaire. Au plaisir de vous lire, Charles T.

    1. Merci beaucoup. Nous sommes tout à côté de l’épicentre du phénomène. C’est peut-être plus difficile à saisir en Europe.

  2. Mais pourquoi « culture » ?

    Pardon, bonjour maître

    Bannissement, baillon… bien, mais pourquoi « culture » ?
    Ligue, meute, secte, milice.

    Et pourquoi « embrasse des causes souvent très louables  » ?
    Alibi ! Prétexte ! Paravent !
    C’est précisément l’axiome de ces comportements que de répandre la haine au nom de la lutte contre la haine. Vous protestez ? C’est vous l’ôdieux. Vous l’avez écrit.

    Question subsidiaire, chers progressistes bien tempérés :
    mais d’où vient donc cette engeance ? Qui l’a engendrée ?

    Pardonnez mon acidité, merci pour ce très lucide article.

    Bertrand (FR)

    1. Merci de votre commentaire. Je partage votre exaspération devant ce phénomène, qui me rappelle le fanatisme des militants marxistes des années 1970. De nos jours, ce n’est plus le prolétariat qui est sacralisé, mais diverses causes, autant de prétexte pour semer la pagaille. Si vous avez une idée pour remplacer le terme «culture», je vous serais reconnaissant de me la suggérer.

      1. Bonsoir

        Mon commentaire plus haut formule quelques propositions, certes un peu violentes (paradoxalement).

        Tout le problème, il me semble, est que « culture » véhicule l’idée positive (rare exception : la culture du viol) d’une sorte d’atmosphère alors qu’il s’agit d’actes précis, d’agissements ciblés menés par des groupes militants et avec les conséquences concrètes que vous illustrez : ce sont eux qui sortent le révolver et nous qui entendons « culture ».

        Ce sont ainsi des campagnes de bannissement ou de disqualification ou de persécution ; c’est de l’opprobre organisé, de la censure par harcèlement…

        Tout cela sonne moins joliment, est moins fluide que « culture-bâillon » mais demandez à Catherine Russell si c’est cela qu’elle estime avoir subi.
        A supposer que « culture » soit légitime en anglais, il me semble ici, dans tous les cas, abusif en français.

        B.

  3. Cette « cancel culture » me semble n’être rien d’autre que le bon vieux « political correctness ». Je ne vois donc pas pourquoi on ne parle pas de rectitude politique en français.

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