Tous les articles par Andre Racicot

Trappe

Il faut se méfier des faux amis, surtout des faux-faux-amis. Méfiance peut être porteuse d’erreur. En effet, l’inlassable chasse à l’erreur incite des langagiers à se méfier de tout… même de ce qui est correct.

Le mot trappe en est un bel exemple. Il m’apparaissait évident que des expressions comme « trappe à touristes » ou « trappe à souris » étaient un calque de l’anglais.

Pantoute. (En québécois, signifie « pas du tout ».)

Une trappe est un piège, nous disent les ouvrages de langue, un piège pour attraper des animaux en couvrant un trou avec des branchages.

Une trappe, c’est aussi une ouverture pour accéder à une cave ou à un grenier.

Au Canada

Les Canadiens donnent un autre sens au mot étudié. Ils en ont fait un synonyme de « gueule ». Par exemple, on dira que Jérôme est une grande trappe. Rien à voir avec un piège ou une ouverture. Il a tout simplement une grande gueule, il parle trop.

Selon le Multidictionnaire de la langue française, le mot a pris également le sens de chasse. Faire de la trappe, c’est pratiquer un type de chasse à l’aide de pièges. Les Amérindiens sont des trappeurs, par exemple.

Comme quoi, il faut parfois faire passer à la trappe notre méfiance légendaire de langagier.

Frankenstein

Un petit saut dans le monde de la littérature et du cinéma.

Un mythe

Tout le monde connait l’histoire de Frankenstein, le monstre créé par un sombre docteur à partir de morceaux de cadavres à qui il redonne la vie. Eh bien ce n’est pas tout à fait vrai.

Tout d’abord Frankenstein n’est pas le nom du monstre mais celui de son créateur, le Dr Victor Frankenstein. Le monstre n’a pas de nom.

Autre mythe, le monstre a l’air… d’un monstre. Là encore, on s’éloigne de la vérité. En réalité, le soi-disant monstre avait plutôt l’allure d’un humanoïde géant, et il faisait peur, c’est vrai.

La créature du Dr Frankenstein n’a rien à voir avec la caricature grossière inventée par Hollywood. Comme toujours, les Américains gâchent tout ce qu’ils touchent. En 1931, il était beaucoup plus spectaculaire de donner à la créature une peau verte et des traits outranciers. Malheureusement, c’est le portrait qui est resté.

Le roman

Mary Shelley, née en 1797 à Londres, fait paraitre en 1818 son œuvre maitresse Frankenstein ou le Prométhée moderne. Il s’agit d’un roman gothique qui a peu retenu l’attention. L’autrice serait sûrement abasourdie de voir le retentissement de son roman, deux cents ans plus tard.

Un film

Un nouveau film de Guillermo del Toro relate la vraie histoire de la créature de Victor Frankenstein.

D’après la critique, le film cherche à comprendre les motivations du scientifique et décrit son entourage, ce que ne faisait pas le film avec Boris Karloff. Del Toro rend hommage à l’œuvre de l’écrivaine Mary Shelley et lui rend justice.

Je ne puis m’empêcher de faire un parallèle avec le chef-d’œuvre de Stanley Kubrick, 2001 l’odyssée de l’espace, dans lequel l’ordinateur l’ordinateur d’une station spatiale s’empare des commandes de celle-ci et s’attaque à l’équipage. S’ensuit un affrontement féroce qui apparait de plus en plus prémonitoire.

En effet, comment ne pas faire aussi le parallèle avec l’intelligence artificielle qui ressemble beaucoup à un mauvais génie échappé d’une bouteille? Des scientifiques, dont le professeur Yoshua Bengio de l’Université de Montréal, nous mettent en garde contre une perte de contrôle possible dans un proche avenir. Paranoïa?

Chose certaine, on a observé un phénomène inquiétant : des ordinateurs ont déjà lancé une conversation cryptée entre eux, sans que les informaticiens ne comprennent ce qu’ils disaient. Le vrai monstre se trouve peut-être par là.

Shutdown en français

Nouvel affrontement entre le gouvernement états-unien et le Congrès, qui conduit à une crise budgétaire et à la paralysie des activités de l’État.

Comme il s’agit d’un problème américain, pour ne pas dire trumpien, on est tenté de reprendre l’anglicisme shutdown.

On peut facilement traduire cette notion, pourtant.

Les premiers termes qui nous viennent à l’esprit sont la fermeture ou la paralysie du gouvernement.

On peut aussi étoffer : la paralysie de l’administration fédérale. Également : l’arrêt des opérations du gouvernement fédéral. On peut aussi parler d’interruption.

Bref, il est très simple de traduire shutdown. Pourquoi s’en priver?

Les personnes en situation d’itinérance

De plus en plus, on entend des expressions comme « personne en situation d’itinérance ». Cette tournure se veut plus respectueuse que de dire simplement « itinérant ». On peut l’observer aussi dans le cas des handicapés, rebaptisés « personnes en situation de handicap ».

Certains y verront un abus, à tort ou à raison. Il est clair que l’utilisation d’une périphrase vient alourdir le discours, ce qui, dans des textes plus longs, peut devenir encombrant. D’autant plus que les mots itinérant ou handicapé existent déjà.

Atténuer le discours

Ces formulations viennent de la volonté de respecter les personnes visées. Depuis quelques années, il est question de malentendants, au lieu de sourds; de malvoyants, au lieu d’aveugles.

Le but poursuivi est de ne pas ramener une personne au seul fait qu’elle est sourde, par exemple. L’ennui, dans tout cela, est que l’expression malentendant peut porter à confusion. Par exemple, est-ce que Robert est un peu dur d’oreille ou complètement sourd? On introduit ici une ambiguïté.

En outre, il n’est pas toujours possible d’introduire la périphrase. Pensons aux réfugiés : « les personnes en situation de refuge »? Et jusqu’où poussera-t-on la volonté d’atténuer le discours?

« Les personnes en situation de criminalité ». « Les personnes en situation d’incarcération ».

Voilà qui mérite réflexion.

Genre grammatical

La tournure en question peut être épicène, ce qui est fort pratique. Quand on dit « Les personnes en situation d’itinérance », on couvre les deux sexes, ce qui simplifie la phrase sur le plan du genre grammatical. Nous évitons ainsi le doublet « Les itinérants et les itinérantes. »

Par ailleurs, la forme raccourcie « les personnes itinérantes » résout également le problème.

Maladies

Cette volonté d’atténuer touche aussi les maladies. Bien sûr, il est un peu raide de dire que Juliette est une cancéreuse. Traditionnellement, on pouvait avancer que « Juliette souffre du cancer. » Ce qui est rigoureusement exact : avoir un cancer n’est pas un partie de plaisir.

À présent, il sera plus délicat de dire que « Juliette vit avec le cancer. » Là encore on peut s’interroger sur la pertinence de cette circonlocution.

Et vous, qu’en pensez-vous?

Jobine

Jobine. Le mot ne figure pas dans les dictionnaires. Il est totalement incompréhensible pour un Européen. Pourtant il foisonne en Amérique francophone.

Un digne descendant de job, dont je discutais dans un billet précédent. Adopté en Europe francophone, il change pourtant de genre selon le côté de l’Atlantique où nous nous trouvons.

Au Québec et au Canada, on parle d’une job, tandis qu’en Europe il est question d’un job.

Une descendance abondante

Les dictionnaires des deux côtés de l’Atlantique précisent qu’une job peut être aussi bien un petit boulot temporaire qu’un vrai travail.

Il s’est trouvé une job dans une épicerie.

Elle a décroché une job de comptable dans une banque.

Au Québec, un travail peu payant est qualifié de jobine ou, encore mieux, de jobinette. Par exemple, un ouvrier peu qualifié peut faire des jobinettes à gauche et à droite pour gagner un peu d’argent.

Un tel ouvrier peut être appelé un jobbeur. Il fait de petites jobs.

Des expressions surprenantes

Les variantes québécoises sauront vous amuser.

  • Faire une grosse job : accomplir tout un travail.
  • C’est une grosse job : faire un travail exigeant (p. ex. : changer la céramique d’une cuisine).
  • Elle a une grosse job : Elle a un bel emploi.
  • Il a une petite job : Il a trouvé un boulot.
  • Une job de bras : demander à des voyous d’aller casser la figure de quelqu’un.
  • Faire la job à quelqu’un est le résultat d’une job de bras.
  • Faire la job tout court… faire le travail.

Conclusion

Les emprunts à une autre langue prennent une nouvelle vie dans leur nouveau terreau. À la manière d’un cactus, ils produisent parfois des fleurs.

Français aérien

Dans un billet précédent, je vous avais parlé de la charmante Karine de Falchi, l’hôtesse pimpante de la chaine Air Exxion, dans Facebook.

Les billets égrillards, mais informatifs, de Karine nous éclairent sur divers aspects du monde de l’aviation.

Ces billets sont souvent ponctués d’anglicismes, dont la plupart pourraient facilement être traduits en français, si seulement on en avait la volonté. Là encore, différence de vocabulaire entre la France et le Québec. Et les topos de Karine le montrent bien.

Des anglicismes communs

Certains anglicismes se voient aussi au Québec. En voici quelques-uns.

Le pilote et son copilote travaillent dans un cockpit, que l’on pourrait traduire par poste de pilotage. Mais, avouons-le, cette expression est rare au Canada français.

Autre anglicisme commun, les terminaux. On voit certes aérogares, mais l’anglicisme s’est bien intégré au français.

Des anglicismes inusités en Amérique francophone

Le plus fréquent est crash, un écrasement d’avion. L’enthousiasme des locuteurs européens lui a donné des ailes et il est devenu verbe : « L’avion s’est crashé en banlieue de la ville. » Le verbe écraser semble devenu désuet.

Les voyageurs en classe business ont peut-être plus de chance de s’en tirer. Au Canada, les plus fortunés voyagent en classe affaires.

Les aéroports ont tous des boutiques duty free, c’est-à-dire des boutiques hors-taxe.

Depuis un bon bout de temps, les compagnies dites low cost font partie du paysage. Ici, on dit des transporteurs à rabais. Le Robert suggère à bas prix.

Les voyageurs chercheront des trucs pour se protéger du jetlag, c’est-à-dire du décalage horaire, comme le propose l’Office québécois de la langue française.

Et les petits derniers

Dans une de ses dernières vidéos, Karine nous parle des stop-overs, ces escales de plus longue durée. Vous atterrissez à Istanbul, y passez la nuit et visitez la ville, avant de reprendre un autre vol pour Dubaï. Il s’agit en fait d’une longue escale, d’une escale allongée.

Les agents welcome, vous connaissez? Ce sont des agents qui vous accueillent à l’aéroport. Pourtant facile à traduire : les agents d’accueil.

Conclusion

Karine de Falchi ne lira probablement ce billet. Si elle le faisait, elle serait surement irritée. Ses anglicismes témoignent d’un engouement envers l’anglais que l’on voit sans cesse en France et ailleurs en Europe. Elle n’est pas seule à blâmer; elle suit la tendance avec la fougue de sa jeunesse.

Je vous recommande quand même d’écouter ses vidéos qui sont une mine de renseignements.

Finaliser

Finaliser constitue un parfait exemple d’intégration d’un anglicisme dans notre langue. On jurerait qu’il s’agit d’un mot authentiquement français, ce qui n’est pas le cas.

Origine et définition

Le mot vient de final, on s’en doute. L’anglicisme finaliser serait apparu en 1936, si l’on en croit le Robert, qui définit ce mot ainsi : « Mettre au point de manière détaillée; présenter sous sa forme quasi définitive. »

On finalisera un projet, une proposition.

Finaliser s’est bien intégré parce qu’il ne heurte pas les règles d’écriture du français, contrairement à shampoing et thriller (prononcé srilère en Europe francophone). Bref, aucun problème à le lire ou à le prononcer. Comme on dit au Québec, on ne s’enfarge pas dans les fleurs du tapis.

Synonymes

Certains voudront éviter finaliser, soit parce qu’il s’agit d’une importation états-unienne, soit parce qu’ils cherchent une figure de style plus relevée.

À ceux-là je propose les mots suivants : mettre au point; mettre la dernière main à; terminer, achever.

On pourrait penser aussi à parfaire.

Finaliser nous rappelle une petite vérité trop souvent oubliée, à savoir que le français possède suffisamment de ressources pour déjouer bien des emprunts à l’anglais.

Escalader

Les médias canadiens semblent avoir bien du mal avec le verbe escalader. Le conflit entre l’Iran et Israël en est une belle preuve. Certains scribes se demandent si cette guerre va « escalader », si l’État hébreu va « escalader » ses attaques contre la république islamique.

Toute personne qui maitrise un tant soit peu le français se rend bien compte qu’il y a ici une dégringolade du français, et non une escalade…

Dans mes jeunes années à Radio-Canada, un reporter disait que les postiers allaient « escalader » les moyens de pression.

Bref, encore une petite incursion de l’anglais dans nos terres. En anglais, escalate signifie qu’une chose augmente en intensité.

Définitions

Le Larousse est clair : « Gravir quelque chose avec effort, par ses propres moyens, pour atteindre le sommet ou passer par-dessus : Escalader un talus. »

Donc, on escalade quelque chose, un obstacle, pour passer par-dessus. Il ne saurait être question de pousser un objet vers le haut. On passe par-dessus lui, on le gravit.

En conséquence, Israël ne peut pas « escalader » les attaques, il peut les intensifier. Le conflit peut s’étendre, prendre de l’ampleur.

Bromance

La rupture tonitruante entre le président états-unien et son ange de la mort, Elon Musk, met en évidence le terme bromance, largement utilisé dans les médias. Bien entendu, aucun effort de traduction, de ce côté-ci de l’Atlantique comme en Europe.

Il s’agit (d’un autre) mot-valise de l’anglais, issu de brother et de romance. Donc, une idylle entre frères, sans connotation sexuelle.

Le terme se voit dans d’autres sphères que la politique. Dans le merveilleux monde du tennis, on a évoqué une bromance entre Nick Kyrgios et Nolan Djokovic, lorsqu’ils se sont affrontés en finale de Winbledon. Les deux hommes se détestaient mais ont appris à se connaitre en s’affrontant pour le championnat.

Bromance n’est pas simple à traduire, car le français est moins friand de mots-valises que l’anglais. Les solutions suivantes sont néanmoins envisageables.

  • Amitié virile
  • Copinage
  • Belle amitié
  • Amitié fraternelle
  • Complicité fraternelle
  • Relation étroite

Malheureusement, notre paresse collective et la fascination envers l’anglais auront probablement le dessus sur toutes les suggestions, si créatives soient-elles.

Lunatique

Certains qualifient parfois le locataire de la Maison-Blanche de lunatique. Ont-ils raison? Ou bien s’agit-il d’un autre anglicisme insidieux?

La réponse appelle des nuances.

Si l’on s’en tient à la définition classique des dictionnaires, on peut dire que le président états-unien est d’humeur changeante, qu’il est versatile, au sens français du terme. Bref, tout le contraire d’une personne constante.

Souvent, on emploie le terme lunatique au sens de « cinglé ». C’est ici que nous glissons insidieusement vers l’anglais… mais pas tout à fait.

Le premier sens de lunatic est celui d’une personne dangereuse et stupide. Ce qui rejoint le titre d’un ouvrage du journaliste Normand Lester sur les États-Unis. En anglais, le terme est très fort, comme on le voit.

Par conséquent, traiter le président de lunatique, au sens de fou à lier, est quelque peu excessif en français.

Mais encore…

Car l’anglais a emprunté au français le sens originel du mot en question. Il suffit de consulter le Trésor de la langue française pour s’en convaincre. Si le premier sens donné est : « Qui est influencé par la lune… » le second est sans équivoque : « Qui est atteint de folie. »

Ce qui rejoint le sens anglais.

Les dictionnaires modernes s’en tiennent plutôt à la définition douce de lunatique et c’est pourquoi on devrait utiliser ce mot avec prudence. N’oublions pas qu’il existe des expressions imagées pour qualifier une personne qui n’a pas toutes ses facultés mentales. « Il lui manque des boulons. » étant l’une d’entre elles.

Au Québec, on peut recenser les expressions suivantes : colon, épais, moron, habitant, niaiseux, dur de comprenure, niochon, pas épais dans le plus mince, sans dessein. La matière abonde. Ceux qui veulent approfondir leur vocabulaire visiteront le site suivant.

La plus savoureuse vient toutefois de l’allemand : Il n’a pas toutes ses tasses dans l’armoire. J’adore.