Abolir la monarchie?

La reine Élisabeth vient de rendre l’âme et sa disparition a immédiatement suscité un débat sur la place de la monarchie au Canada. Beaucoup réclament la fin du lien avec la monarchie britannique, mais peu s’entendent sur le type de régime que le Canada pourrait adopter par la suite. Quel chef d’État pourrait avoir le Canada?

Essayons de mettre un peu d’ordre dans tout cela.

Abolir la monarchie au Canada?

La question demeure controversée au Canada anglais, bien qu’un nombre croissant de nos voisins estiment que la monarchie constitutionnelle au Canada est quelque peu dépassée. Bien entendu, la réaction est tout autre au Québec, car les habitants ont bien du mal à s’identifier à Charles III, le britannique.

La vraie question à se poser est la suivante : est-il possible d’abolir la monarchie au Canada?

L’ennui, c’est que même un consensus d’un océan à l’autre sur la nécessité d’en finir avec la Couronne britannique ne suffirait pas. En effet, conformément à la Loi constitutionnelle de 1982, il faut que les dix provinces canadiennes ainsi que les deux chambres du Parlement donnent leur accord pour que le Canada devienne une république. On conviendra qu’une pareille situation est hautement improbable à moins qu’on découvre soudain que la famille royale est composée de pédophiles satanistes…

La nécessité d’avoir un chef d’État

Tous les États, quels qu’ils soient, démocraties ou autocraties, ont besoin d’un chef pour sanctionner les lois, accepter les lettres officielles des ambassadeurs étrangers et se charger de diverses tâches officielles. Le président de la République, le roi, l’empereur, etc. doivent aussi participer à toute une ribambelle de cérémonies protocolaires ennuyeuses. Parlez-en à Julie Payette…

Dans beaucoup de pays, les rôles de chef d’État et de chef de gouvernement sont distincts, justement parce que leur cumul est exigeant. Les fonctions les plus protocolaires échoient à une personne ne jouant aucun rôle politique, sauf dans certaines situations. Cette division des tâches permet à la personne dirigeant le gouvernement de se consacrer entièrement à son travail.

Dans une monarchie, le souverain s’occupe des tâches protocolaires. Des pays comme la Grande-Bretagne, la Norvège, les Pays-Bas, le Japon, la Thaïlande, l’Espagne, etc. sont des monarchies.

Les républiques les plus connues sont les États-Unis, la France, l’Allemagne, l’Italie, Israël, l’Argentine, la Russie, etc.

Une république? Puis après?

Le fait de transformer le Canada en république n’est pas la panacée qu’on imagine. Sorry to be positive about that.

Les fonctions protocolaires ne disparaissent pas avec la monarchie. Même si le Canada arrivait à rompre avec les Windsor, il devrait se choisir un chef d’État pour les raisons exposées ci-dessus. Ce chef pourrait être :

  1. Le premier ministre
  2. Une personne désignée par le premier ministre
  3. Une personne choisie par le Parlement
  4. Une personne choisie par une assemblée spéciale
  5. Une personne élue par la population

Examinons ces options. La première a peu de chance d’être adoptée, le premier ministre étant déjà suffisamment occupé.

Actuellement, le gouverneur général est nommé par le roi sur proposition du premier ministre (option 2). Par conséquent, il n’y aurait pas de changement avec le gouverneur général… Belle affaire!

Les options 3 et 4 sont celles retenues par beaucoup de pays. En Allemagne, par exemple, le président est désigné par l’Assemblée fédérale, qui regroupe des députés et des représentants des Länder, les États fédératifs allemands. Un ancien politicien respecté de tous est souvent choisi par cette assemblée.

Les pays cherchent en effet des personnes qui pourront, le cas échéant, jouer le rôle d’arbitre ou de conciliateur impartial en cas de conflit politique aigu entre les partis. Soit dit en passant, c’est exactement le rôle que joue le gouverneur général.

Quant à l’option 5, elle comporte des risques. Une personne élue par la population pourrait finir par avoir plus de légitimité que le premier ministre lui-même. Ce dernier est le chef du parti majoritaire, certes, mais il n’est pas élu directement par la population à ce titre. D’ailleurs, si son parti choisit de l’évincer, son successeur sera désigné par le cabinet ministériel, soit une trentaine de personne.

L’élection directe par la population de l’éventuel président ou gouverneur du Canada pourrait donner lieu à une sorte de surenchère politique, le candidat élu pouvant venir d’un parti d’opposition, aussi bien que des rangs populistes. En fin de compte, l’élection du chef d’État pourrait devenir une joute politique, voire une foire d’empoigne, alors qu’il s’agirait de choisir de choisir un gouverneur/président n’ayant pas plus de pouvoir que le gouverneur général actuel.

Le gouverneur général

La controverse entourant le départ de Julie Payette a relancé le débat sur l’utilité du gouverneur général. Pour beaucoup, cette fonction représente une dépense inutile et mieux vaudrait la faire passer par la trappe.

On voit tout de suite que les personnes préconisant cette solution ne connaissent rien au régime constitutionnel canadien.

Or le Canada ne peut faire partie du Commonwealth sans que son chef d’État ne relève de la Couronne britannique. Et, comme nous venons de le voir, le poste de chef d’État est indispensable.

Donc, que ça nous plaise ou non, le Canada continuera d’avoir le roi de Grande-Bretagne comme chef d’État, tant et aussi longtemps qu’il demeurera une monarchie constitutionnelle. Ce qui signifie qu’un gouverneur général sera toujours dans le paysage pour assumer des fonctions protocolaires dont le roi ne peut se charger, étant chef d’État d’une quinzaine de pays.

Remplacer Charles III par une autre personne n’est donc pas si simple que cela. Un débat national reste à faire.

***

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2 réflexions sur « Abolir la monarchie? »

  1. Excellent article vulgarisateur, André. J’ai énormément de respect pour l’institution qu’est le Roi ou la Royauté. Qu’on aime ou non la personne, le Roi est le Roi. Il faut un chef d’État. Ne plus faire partie du Commonwealth aurait des retombées économiques désastreuses pour le pays. Il s’agit d’un sujet complexe qui irrite les gens qui ne comprennent pas les tenants et aboutissants des régimes politiques existants. C’est la même chose avec l’imposition des prestations de retraite. Beaucoup croient qu’ils ont déjà payé de l’impôt sur l’argent versé au titre des régimes de retraite. Or, c’est sur le salaire brut que les cotisations sont prises.

  2. Article fort intéressant, mais je me permets de corriger deux erreurs. 1° «Or le Canada ne peut faire partie du Commonwealth sans que son chef d’État ne relève de la Couronne britannique.» C’est faux. Un pays peut devenir république tout en restant membre du Commonwealth. Exemple : l’Inde. 2° « le rôle d’arbitre ou de conciliateur impartial en cas de conflit politique aigu entre les partis. Soit dit en passant, c’est exactement le rôle que joue le gouverneur général.» C’est le rôle du Roi des Belges, je crois, mais ce n’est pas du tout le rôle du gouverneur général du Canada.

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