Les informaticiens et le français

Parlez-vous klingon? Vous y avez intérêt, car le jargon des informaticiens est impénétrable.

Erreur 401, RAM, HDMI, LCD une prolifération de sigles incompréhensibles, comme si les réalités informatiques ne pouvaient s’exprimer en langage normal.

Derrière ce langage kabbalistique, on devine le sabir du slang anglo-américain, l’obsession des sigles pour tout raccourcir. Mais surtout cette conviction que l’utilisateur normal en sait autant qu’eux.

D’où ces messages d’erreur incompréhensibles. Vous n’avez pas accès à une page, mais on ne vous dit pas pourquoi…

Ce sont hélas les informaticiens qui conçoivent les logiciels de traitement de texte… et, le moins que l’on puisse dire, c’est que la convivialité est souvent laissée de côté, surtout quand il s’agit de respecter la langue française.

Commençons par les accents. L’obstacle le plus important dans la dactylographie française, ce sont les accents. D’innombrables mots prennent un accent. Or, seul le E accent aigu possède une touche distincte permettant de le taper d’un seul coup. Dès que vous désirez taper un mot comme révèle, vous devez utiliser le caractère accentué de l’accent grave et ensuite le E. Deux frappes pour une lettre. Idem pour l’accent circonflexe, qui a au moins le mérite d’être plus rare, voire d’être presque éliminé, si vous avez adopté la nouvelle orthographe. Seuls les heureux possesseurs d’un ordinateur Apple bénéficient de touches distinctes pour le À, È, le Ù et le Ç. On se demande pourquoi les autres entreprises n’offrent pas le même choix aux francophones. Si vous avez un PC, sachez qu’il faut sélectionner le clavier canadien multilingue pour obtenir les touches accentuées À et È, sauf qu’elles ne sont pas indiquées sur le clavier, mais on s’habitue vite. Bien beau tout ça, mais pourquoi faut-il donc ruser avec son ordi pour avoir ce que l’on veut?

Quand on pense que nos amis anglophones ne tapent jamais de signes diacritiques…

Deux signes de ponctuation reviennent constamment dans nos textes : le tiret et l’apostrophe. Le français exige une grande quantité d’apostrophes et nous devons continuellement les taper à l’aide de la touche Majuscule et celle de la virgule. Cette gymnastique devient vite lassante lorsqu’on tape un long texte. Les anglophones utilisent la touche réservée à l’accent grave pour taper d’une seule frappe toutes les apostrophes. Avantage Anglos, encore une fois.

Mais nos charmants voisins souffrent autant que nous de l’absence du tiret dans les claviers (et Dieu sait qu’ils adorent en saupoudrer leurs textes). Une aberration ! Utiliser le trait d’union à la place du tiret constitue une faute de typographie. Mais où est donc le tiret ? Dans les caractères spéciaux, voyons ! Pour le taper, vous devez aller dans le menu prévu à cet effet (compliqué) ou encore connaître la formule kabbalistique Alt + nombre, à moins que vous ne soyez prêts à faire le grand écart : touche Contrôle et trait d’union du pavé numérique…  C’est finalement la méthode la plus simple. Le Mac n’est pas mieux à cet égard, à moins que la touche ne soit cachée quelque part… J’ai fait une macro dans Word, faute de mieux.

Les correcteurs orthographiques signalent sans cesse que le OE dans «œuvre» doit être ligaturé. Pourquoi n’a-t-on pas prévu de touche à cet égard? Pour ne pas devenir fou, il faut créer une macro pour taper cette double lettre ou s’en remettre au correcteur automatique.

Mais à quoi pensent au juste les informaticiens ? Le plus bête, c’est que des symboles comme < et  > sont à portée de la main sur le clavier. Je ne les ai jamais utilisés. Il me semble qu’on aurait pu y insérer les deux types de tiret, cadratin et demi-cadratin. Trop simple. D’ailleurs, les informaticiens ne connaissent pas de tels mots savants… qui deviendraient sans doute des sigles comme CDT et 1/2CDT… Je suis méchant, mais ça fait du bien.

Et pourquoi pas une touche pour insérer une espace insécable ? Pardon, je fabule.

Autre problème : lorsque les Québécois collent le point-virgule, le point d’interrogation et le point d’exclamation sur la lettre précédente, ils commettent une faute de typographie, car ces signes requièrent une demi-espace, appelée espace fine. Tout bon éditeur respectera cette règle en vertu de laquelle le point-virgule, par exemple, est légèrement distancé de la lettre précédente. L’espace fine permet de « décoller » le point d’exclamation de la lettre précédente, ce qui le met plus en évidence. Croyez-le ou non, mais cet espace n’existe pas sur nos claviers, et les Européens le remplacent par une espace complète, ce qui n’est pas très joli. À l’heure où nos ordinateurs sont gonflés aux stéroïdes se conjuguant en méga, en giga et en téra-octets, il est toujours impossible de faire une demi-espace en tapant…

La logique des développeurs n’est jamais la même que celle des utilisateurs. Et je ne vous parle même pas des appareils photos.

 

 

 

 

7 réflexions sur « Les informaticiens et le français »

  1. Quand tu mentionnes que « […] lorsque les Québécois collent le point virgule [sic], le point d’interrogation et le point d’exclamation sur la lettre précédente, ils commettent une faute de typographie », c’est juste dans la mesure où ce sont les logiciels de traitement de texte sur lesquels nous travaillons tous qui ne les offrent pas. L’article de L’OQLF (http://bdl.oqlf.gouv.qc.ca/bdl/gabarit_bdl.asp?t1=1&id=2039) est clair à ce sujet. Ce n’est pas qu’une question de clavier.

    Aussi, plutôt que de mettre une espace insécable devant le point-virgule, le point d’interrogation et le point d’exclamation, ce qui rallonge inutilement le texte ou, pire, qui se retrouve sur la ligne suivante parce que non protégé, est-il préférable, lorsque notre texte n’est pas mis en pages par un professionnel, de laisser ces trois signes de ponctuation collés sur le mot qui précède. C’est donc la ligne que préconise l’OQLF en cette matière que je suis, personnellement, lorsque je révise des textes.

    Et lorsque le texte est pour être mis en pages par des graphistes professionnels, ces personnes préfèrent de loin que ces signes de ponctuation soient tous collés sur le mot précédent, de manière consistante. Ainsi, ils n’ont qu’à donner une commande générale pour arranger le tout. Et ça donne moins de maux de tête aux réviseurs qui doivent corriger les jeux d’épreuves…

    Quant au paragraphe « Mais à quoi pensent au juste les informaticiens ? Le plus bête, c’est que des symboles comme sont à portée de la main sur le clavier. Je ne les ai jamais utilisés […] », ça me fait bien rigoler. Le croiras-tu? Les informaticiens ont d’abord pensé à EUX (et encore une fois les Anglos en premier). J’en ai fait l’expérience en tripotant dans le HTML5 et le CSS3 pour mettre mon site à jour, et j’ai cherché comme une folle comment avoir accès à ces deux maudits symboles sur mon clavier canadien-français Apple. Les trouvais pas! J’étais obligée de passer par les codes, et ça finit pus! L’enfer. Alors, j’aurais bien aimé les avoir « à portée de main », comme tu dis. Je comprends les informaticiens parce que ça répond à leurs besoins. Pas à celui des langagiers, c’est vrai.

    Bref, c’est vrai qu’on perd un temps fou à f… le c… avec nos claviers.

    Enfin, tant qu’à y être, dans le domaine des problèmes de clavier et de logiciels et de « quincaillerie », connaîtrais-tu une manière de faire des espaces insécables dans un article rédigé directement dans WordPress (on n’a pas encore parlé des plateformes ni des appareils mobiles, hein?)? J’ai pas encore trouvé et ça me frustre infiniment.

  2. Merci de ton commentaire, Dominique. Je ne suis pas seul à souffrir… Et non, je n’ai pas trouvé de moyen d’insérer l’espace insécable dans WordPress…

    1. Les Mac possèdent des touches clairement identifiées pour les quatre lettres en question; pas besoin de finasser avec son ordi pour les obtenir. J’ai appris récemment que les PC pouvaient offrir un clavier accentué, comme le démontre ton exemple, mais les touches ne sont ni voisines ni identifiées. Mais ce désagrément est passager et compense largement tous ces accents qu’il faut taper. Par ailleurs, le Mac n’est pas plus pratique pour ce qui est du tiret et de l’espace fine.

  3. Question venue d’Europe : vous dites que les touches À, Ç, etc. (œ ? tiret quadratin ?) sont clairement identifiées sur un clavier Mac québecois, mais où donc ? J’ai à parler de cette question la semaine prochaine et j’ai trouvé des dizaines de références pour la Belgique et la Suisse, mais rien sur le Canada malgré toute une gymnastique dans la formulation de recherche sur Google avec des OR et des NOT en veux-tu en voilà (gymnastique dont je n’ai pas eu besoin avec la Belgique et la Suisse). Pour le Québec, rien n’y a fait, aucun signal, rien que du bruit. En plus, spécifier Mac NOT Windows m’a donné plein d’informations… sur Windows.

    Autre chose : les ennuis dont vous parlez avec les espaces insécables, les espaces fines et le reste sont tous aisément résolus sur Linux, Mac ou Windows si vous utilisez LaTeX. Cerise sur le gâteau, vous pourrez écrire un texte de 1’000 pages avec 3’000 notes de bas de page et vous n’aurez aucun souci. Essayez ça avec Word (je l’ai fait, il a littéralement explosé).

    Bien cordialement, Pierre

    1. Merci de votre commentaire et de vos conseils pour le LaTeX. Je ne suis pas aussi ferré que vous en informatique, d’où mes commentaires désabusés.
      Pour répondre à votre question, le È et le À se trouvent tout juste à la droite du point-virgule, lui-même à côté du L. Quant au Ç, il est un étage au-dessus du À. En bas, à gauche, à côté de la touche des majuscules, une touche spéciale pour le Ù. J’étais convaincu que les claviers européens français étaient configurés de la même manière.

      1. Merci beaucoup de votre réponse rapide, je comprend bien mieux comment ça se présente. C’est manifestement très différent d’une rive à l’autre de l’océan, peut-être pour des raisons historiques ? J’aime votre manière de faire, avec, si j’ai bien compris, è et È sur la même touche, pareil pour ç et Ç, etc. Sur les claviers français, belges et suisses, les minuscules et les majuscules des caractères inhabituels tendent à être sur des touches différentes et les majuscules sont souvent le résultat de combinaisons de touches assez acrobatiques.

        Pour LaTeX, vos soucis me font juger que ça vaut vraiment la peine que vous vous penchiez dessus. Les règles typographiques sont très bien gérées et c’est indépendant non seulement de votre système d’exploitation mais aussi de votre éditeur de texte. Pas l’ombre d’un problème parce que du texte écrit avec Word 2007 n’est plus lu par Pages ou que du texte écrit avec Mellel n’est lu par rien d’autre. Ici, tout est compatible avec tout.

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