Alternative

L’anglicisation du français se fait de diverses manières. Contrairement à ce que l’on peut croire, le français ne s’anglicise pas uniquement par les emprunts multiples et effrénés des Européens. Beaucoup de ces emprunts ne sont que des étoiles filantes qui se perdent vite dans les galaxies éloignées de notre système langagier…

Phénomène moins connu, un certain nombre de mots français voient leur sens élargi, sous l’influence de l’anglais. Pour le meilleur et pour le pire. L’un des derniers en date est spéculation, mot auquel le Petit Larousse attribue la définition suivante «Construction abstraite, commentaire arbitraire et invérifiable : Leur entretien secret a donné lieu aux spéculations des journalistes.»

On est loin des considérations théoriques de la définition originale. Sous l’influence de l’anglais, le mot se démocratise, en quelque sorte.

Le mot alternative a aussi évolué. Traditionnellement, on définissait le terme comme un choix entre deux options opposées. Sous l’influence de l’anglais, influence critiquée, d’ailleurs, le mot a pris le sens de solution de remplacement.

Ce nouveau sens a essaimé dans d’autres expressions. Par exemple, les alternatifs est un nom collectif qui embrasse l’ensemble des forces politiques qui combattent le néolibéralisme, c’est-à-dire le capitalisme débridé. Les alternatifs proposent une alternative à l’exploitation sans vergogne des richesses naturelles, au triomphe du capitalisme financier; ils luttent aussi pour le développement durable et un meilleur partage de la richesse.

D’autres expressions, inspirées par l’idée de solution de rechange, ont bourgeonné. Pensons à la médecine alternative. Quand un sens nouveau s’immisce un peu partout, il devient très difficile de revenir en arrière. D’ailleurs le faut-il absolument?

 

 

7 réflexions sur « Alternative »

  1. J’ai une certaine aversion aux anglicismes, pour ne pas dire une aversion certaine, mais cela ne signifie pas qu’il ne faille pas finir par accueillir dans la langue française ceux qui s’y sont installés pour y rester, qui n’ont pas toujours un équivalent français adéquat ou qui ne se rendent en français que par de lourdes périphrases ou locutions. Par exemple, continuer à se battre contre réaliser (au sens de prendre conscience), bien enraciné, ou contre prioriser (établir des priorités), mot bien utile, me semble un combat d’arrière-garde perdu d’avance. Autre exemple (et non exemple alternatif), affirmer qu’obsolète, employé par tout le monde, est un anglicisme, parce que ce mot, autrefois bien français, est tombé en désuétude et nous est revenu par les Anglo-Saxons, mais qu’il est toutefois acceptable en langue économique frise la tétracapillosectomie, pour ne pas dire le ridicule, et est insoutenable devant des gens qu’on espère convaincre du bien-fondé de la défense de notre langue.
    Alternatif pose un autre problème, non lié aux anglicismes. Les gens l’emploient souvent de façon impropre, en disant qu’il y a deux alternatives (au sens d’option) dans une situation donnée, alors qu’il n’y a en fait qu’une alternative, constituée de deux options.

  2. Une des choses qui me dérangent avec les anglicismes, c’est quand l’emprunt vient causer de la confusion en dédoublant l’interprétation possible d’un énoncé.

    Le mot «éventuel» est un bon exemple. Le sens officiel est « qui peut ou non se produire », alors que beaucoup l’utilisent (et peuvent le comprendre à tort) dans le sens de « qui va finir par se produire ». La nuance est importante.

    De même, j’entends souvent le mot « littéralement » utilisé dans un sens… non littéral. Je me rappelle avoir entendu dire qu’un groupe rock avait « littéralement » fait lever le toit du Centre Bell. Avec une petite recherche Google, je retrouve d’autres exemples encore plus saisissants. Par exemple : « La foule du Centre Bell, survoltée dès le départ, a littéralement explosé en début de match ». Ouf! Ça ne devait pas être beau à voir!

  3. Ce qui est difficile, comme professionnel langagier, c’est de prendre la décision de « laisser passer » l’anglicisme. À partir de quel moment accepte-t-on l’élargissement du sens français? Quand on l’ajoute au Petit Robert? Quand on commence à le voir dans des publications de bonne tenue? Comme travailleuse autonome, je dois prendre ce genre de décisions tous les jours… et négocier avec des clients portés sur l’anglicisme. Des astuces ou des conseils à ce sujet?

    1. Professionnellement, j’estime, et ça n’engage que moi, qu’il ne m’appartient pas d’en décider. Je peux à l’occasion, si le lectorat, le ton du document ou le contexte le justifient (p. exemple, dans la traduction d’une discussion ordinaire), faire preuve d’une certaine souplesse, mais j’évite. Il y a des lexicographes dont le métier est d’apprécier si on peut considérer qu’un terme est intégré à la langue, je veux parler des rédacteurs des dictionnaires, et je me fie à eux. Chacun son boulot. Mes mètres-étalons restent essentiellement, par ordre de priorité, Le Grand (ou le Petit) Robert, le dictionnaire Franqus (stupidement rebaptisé Usito), les dictionnaires spécialisés comme le Ménard dans les domaines pertinents et le GDT. En revanche, je ne me fie pas à des fourre-tout comme le Trésor de la langue française informatisé, qui n’ont pas de regard critique et qui se limitent à tout recenser.

    2. C’est l’essence même de mon atelier L’évolution du français, non offert en Suède, chère Adrienne… D’entrée de jeu, je bannis tous les anglicismes qui ont un équivalent français, même si l’anglicisme est entré dans Le Robert, si la presse française l’utilise couramment et même si des écrivains réputés l’utilisent. Exit des horreurs comme email, sniper, mobil-home etc.
      À éviter également des anglicismes sémantiques comme initier, puisqu’il est facile de le remplacer par des mots comme lancer, démarrer, enclencher, etc. En outre, employer ce mot peut saccager de belles expressions idiomatiques comme « déclencher une guerre », remplacée par « initier une guerre » (ouache!).

      Toutefois, le français peut être favorablement influencé par l’anglais. Tout ce qui vient de cette langue n’est pas poison, loin de là. Certains sens anglais sont passés dans l’usage depuis longtemps : réaliser dans le sens de « prendre conscience de… »; contacter et bien d’autres qu’à peu près tout le monde utilise sans y penser. Il faut faire preuve d’ouverture.

      Pour ce qui est de valider nos choix, NE PAS SE FIER À UNE SOURCE UNIQUE; NE PAS FAIRE D’UN OUVRAGE UNE BIBLE INDÉPASSABLE. Tu peux consulter le Larousse en ligne : il donne parfois un son de cloche différent du Robert. Je regarde aussi dans le GDT de l’OQLF et dans les Clefs du français pratique du Bureau de la traduction. Ensuite, je consulte Internet, mais jamais en basant mon jugement sur le nombre d’occurrences d’un terme, d’une expression. C’est du vent, car Google accorde le même poids au Monde Diplomatique et à Paris Match. Donc, se diriger vers des publications de bonne tenue, comme Le Monde, L’Express, le Figaro; aussi consulter Le Devoir, bien que la langue n’y soit pas impeccable.

      Enfin, faire confiance à son jugement.

      1. Merci, André, pour ta réponse. J’accorde probablement un trop grand poids au Robert, mais aussi au nombre d’occurrences sur Google. Matière à réflexion…

  4. Bien vu André.

    Médecine alternative est sans doute devenu inévitable, mais que dire des suivants :

    — le rôle alternatif des deux objectifs dans le sens de « qui, de la poule ou de l’œuf, était là le premier ? » (-> le rôle opposé)
    — le propane et autres carburants alternatifs… (-> carburants de substitution)
    — un point de vue alternatif du développement (-> point de vue différent)
    — la circulation alternative des véhicules (-> circulation alternée)
    — la proposition alternative de résolution est… (-> le contre-projet)
    — le creuset d’une culture alternative (-> nouvelle culture, contre-culture)
    Etc.

    Ces contresens sont dus, à mon avis, au fait que les traducteurs francophones se laissent inconsciemment guider par la similarité du nom anglais et de l’adjectif féminin français.

    Je ne crois pas que l’on puisse lutter contre l’évolution de la langue, mais les traducteurs sont en première ligne et je crois qu’ils ont tendance à la faire évoluer avec un peu trop de hâte et pas assez de bon sens…

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